Dans
la poche de son manteau, trois euros quand on connaît le prix d’un café à
Paris, le choix est fait !
Il
est debout et tout son corps se penche quand il sollicite, demande, quémande
une pièce pour arriver, je suppose, avant la fin de la matinée à cinq euros.
J’imagine :
Cinq comme les doigts de la main qu’il tend inexorablement, cinq comme les
petits pains au lait qu’il a vus dans le supermarché ! Cinq comme le
numéro de sa rue, avant, quand il était.
Les
passants marchent vite, trop vite et il n’a pas envie de leur courir après le
dos plié en deux comme les esclaves dans cette exposition sur le monde africain
que j’avais parcourue un jour de grand froid. Cet homme ressemble à ces
gravures d’un autre temps, sans âge, sans nom et sans recevoir même un regard
qui pourrait réchauffer.
J’imagine :
Deux comme le nombre de chambres dans son appartement du numéro cinq !
Deux comme les jumelles, ses filles qu’il voit de temps en temps au détour
d’une balade dans le parc de Chaumont. Deux comme les années qu’il lui reste à
vivre maintenant.
Il
regarde à peine les gens quand il tend sa main. Je le sais, je le vois faire son
sketch quand quelqu’un lui refuse une petite pièce. Il ne crie pas, il ne monte
pas le ton, non ! Il déclame, il ouvre son coffre et projette les mots
d’une poésie, d’un texte fort porteur d’émotion à celui qui a dit non et sans doute au prochain. Il lance ses mots qui
fouettent le visage de chacun comme un gifle bien méritée, comme un claquement
de portière évitant de justesse les doigts mal placés ! Il donne, il
offre, il déverse ses paroles apprises par cœur et avec cœur sur les vagues
humaines qui déferlent sans un bruit.
Tous,
ils voudraient bien y échapper, se boucher les oreilles, ne pas les entendre
ces maux de souffrance qu’il a fait sien.
Cet
homme qu’on croyait fatigué, alcoolisé, peu sûr de lui se met à vivre et à
faire vibrer la foule. Il ne manque plus que les applaudissements, parfois.
Je
suis juste en face et les rails nous séparent. Il ne sait pas que j’ai déjà
raté quatre métros pour l’entendre crier son texte comme si de rien n’était,
sans improvisation et sans hésitation.
Il
est là tous les jours ou presque. La
dernière fois que je l’ai vu et entendu, il était à l’entrée d’une bouche de
métro mettant en garde les entrants en les avertissant qu’il n’y avait pas de
train…mouvement social oblige !
Comme
pour une dernière représentation, il avait revêtu un manteau noir encore plus
long que d’habitude, mis des gants blancs et une écharpe rouge. Il m’a fait
pensé à quelqu’un, mais à qui ?
Peu
importe, il a donné cette fois ses derniers mots sans rien demander, comme un
cadeau fait en dehors des dates fixées.
J’imagine :
« Recueil pour un homme dans la rue ». découvrir son livre, dans une
librairie du 4ème arrondissement. C’est lui sur la couverture. Son
manteau noir, son écharpe rouge mais toujours sans nom !
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