dimanche 9 juin 2013

Sans nom



Dans la poche de son manteau, trois euros quand on connaît le prix d’un café à Paris, le choix est fait !
Il est debout et tout son corps se penche quand il sollicite, demande, quémande une pièce pour arriver, je suppose, avant la fin de la matinée à cinq euros.

J’imagine : Cinq comme les doigts de la main qu’il tend inexorablement, cinq comme les petits pains au lait qu’il a vus dans le supermarché ! Cinq comme le numéro de sa rue, avant, quand il était.

Les passants marchent vite, trop vite et il n’a pas envie de leur courir après le dos plié en deux comme les esclaves dans cette exposition sur le monde africain que j’avais parcourue un jour de grand froid. Cet homme ressemble à ces gravures d’un autre temps, sans âge, sans nom et sans recevoir même un regard qui pourrait réchauffer.

J’imagine : Deux comme le nombre de chambres dans son appartement du numéro cinq ! Deux comme les jumelles, ses filles qu’il voit de temps en temps au détour d’une balade dans le parc de Chaumont. Deux comme les années qu’il lui reste à vivre maintenant.

Il regarde à peine les gens quand il tend sa main. Je le sais, je le vois faire son sketch quand quelqu’un lui refuse une petite pièce. Il ne crie pas, il ne monte pas le ton, non ! Il déclame, il ouvre son coffre et projette les mots d’une poésie, d’un texte fort porteur d’émotion à celui qui a dit non et  sans doute au prochain. Il lance ses mots qui fouettent le visage de chacun comme un gifle bien méritée, comme un claquement de portière évitant de justesse les doigts mal placés ! Il donne, il offre, il déverse ses paroles apprises par cœur et avec cœur sur les vagues humaines qui déferlent sans un bruit.
Tous, ils voudraient bien y échapper, se boucher les oreilles, ne pas les entendre ces maux de souffrance qu’il a fait sien.
Cet homme qu’on croyait fatigué, alcoolisé, peu sûr de lui se met à vivre et à faire vibrer la foule. Il ne manque plus que les applaudissements, parfois.

Je suis juste en face et les rails nous séparent. Il ne sait pas que j’ai déjà raté quatre métros pour l’entendre crier son texte comme si de rien n’était, sans improvisation et sans hésitation.
Il est  là tous les jours ou presque. La dernière fois que je l’ai vu et entendu, il était à l’entrée d’une bouche de métro mettant en garde les entrants en les avertissant qu’il n’y avait pas de train…mouvement social oblige !

Comme pour une dernière représentation, il avait revêtu un manteau noir encore plus long que d’habitude, mis des gants blancs et une écharpe rouge. Il m’a fait pensé à quelqu’un, mais à qui ?
Peu importe, il a donné cette fois ses derniers mots sans rien demander, comme un cadeau fait en dehors des dates fixées.

J’imagine : « Recueil pour un homme dans la rue ». découvrir son livre, dans une librairie du 4ème arrondissement. C’est lui sur la couverture. Son manteau noir, son écharpe rouge mais toujours sans nom !

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