mercredi 26 juin 2013

Tes voeux



Préparer le matériel, tout sortir, les crayons, le papier et les mots qui vont aller sur cette carte de vœux. Je sors aussi tous mes souvenirs, les bons, les inoubliables et les sans appels. Je cherche comment mettre sur si peu de place tout ce que j’aimerai te dire, te prédire et te souhaiter, toi mon amical destinataire, mon ami(e) de cœur et d’ailleurs. Chaque papier découpé est manié avec délicatesse et j’imagine un endroit, ton endroit préféré, ta couleur.
Chaque mot est précis, rien n’est laissé au hasard car c’est à toi seul(e) que j’adresse ce découpage qui t’accompagnera, je le souhaite, tout au long de cette année et encore plus, si  tu le désire.
Chaque lettre est formée en pensant à toi, les boucles délicates des « b » et la franche assise des « a » ! Je m’applique, je n’ai qu’une seule chance et je savoure à l’avance ta réaction quand tu découvriras que cette année c’est le facteur qui t’apporte mes souhaits d’amour et d’amitié et de folie.
Mais le plaisir ne s’arrête pas à la fin du collage sans taches. Je décolle doucement, précieusement l’enveloppe dans laquelle je glisserai ce pli comme on laisse tomber un caraco de soie, bretelle après bretelle. J’y mettrai aussi mes pensées, mes envies de se faire un ciné ou une soirée entre copines, un délire entre potes. J’y cacherai par la même occasion pour toi, une once d’amour, un soupçon de sensualité et peut-être plus, si tu prends le temps d’ouvrir ton courrier comme on savoure une glace vanille-extrême.

L’attachement à cette carte continue bien au-delà de cette fermeture où j’ai pris toutes les précautions pour ne pas y laisser une empreinte.
Descendre les étages, la lettre à la main, la sentir vibrer sous mes doigts et te voir toi mon lecteur connu recevant cette missive écrire à l’encre bleue et décorée aux feutres fluo. Partager tes instants de bonheur à l’ouverture de cette enveloppe.
Le moment le plus savoureux est le geste habituel que tu fais devant une boite à lettre : envoie du courrier par région. Ici, ma main est seule maîtresse de mes actes. Jeter, non, lancer, non, déposer délicatement en priant que personne ne perdra ma lettre de vœux.

Le temps m’est conté quand je crée ta carte juste pour toi mais jamais sans compter!

Tout simplement



Avant je croyais que les extraterrestres vivaient sur Mars et dans les séries télévisées.
Avant je croyais que je pouvais entrer dans les feuilletons et changer le cours de la vie des héros.
Avant je croyais que la neige était la même que celle du congélateur mais en plus douce et en plus fragile.
Avant je croyais que les notes de musique savaient se placer seules sur une partition, qu’il suffisait de le leur demander.
Avant je croyais que la terre engendrait des hommes de bonne volonté chaque année sur tous les continents.
Avant je croyais que tous les enfants avaient le droit d’être heureux sans compter parce qu’ils avaient ce statut d’enfant, innocent.
Avant je croyais que les gens pouvaient donner un sens à leur vie, un peu plus chaque jour juste en y pensant.
Avant je croyais que l’amour qu’on donne aux autres te revenait comme ça, sans que tu t’y attendes.
Avant je croyais en toi et en ton âme bien née.
Avant je croyais en moi et en ma tête bien faite et parfois défaite.
Aujourd’hui, j’ai peur, je ne crois plus en avant, en avance. 
J’achète mes billets le jour même. Je paie mes factures sans tarder. Mais, je ne peux pas m’empêcher de croire !
Tout simplement.

dimanche 9 juin 2013

Sans nom



Dans la poche de son manteau, trois euros quand on connaît le prix d’un café à Paris, le choix est fait !
Il est debout et tout son corps se penche quand il sollicite, demande, quémande une pièce pour arriver, je suppose, avant la fin de la matinée à cinq euros.

J’imagine : Cinq comme les doigts de la main qu’il tend inexorablement, cinq comme les petits pains au lait qu’il a vus dans le supermarché ! Cinq comme le numéro de sa rue, avant, quand il était.

Les passants marchent vite, trop vite et il n’a pas envie de leur courir après le dos plié en deux comme les esclaves dans cette exposition sur le monde africain que j’avais parcourue un jour de grand froid. Cet homme ressemble à ces gravures d’un autre temps, sans âge, sans nom et sans recevoir même un regard qui pourrait réchauffer.

J’imagine : Deux comme le nombre de chambres dans son appartement du numéro cinq ! Deux comme les jumelles, ses filles qu’il voit de temps en temps au détour d’une balade dans le parc de Chaumont. Deux comme les années qu’il lui reste à vivre maintenant.

Il regarde à peine les gens quand il tend sa main. Je le sais, je le vois faire son sketch quand quelqu’un lui refuse une petite pièce. Il ne crie pas, il ne monte pas le ton, non ! Il déclame, il ouvre son coffre et projette les mots d’une poésie, d’un texte fort porteur d’émotion à celui qui a dit non et  sans doute au prochain. Il lance ses mots qui fouettent le visage de chacun comme un gifle bien méritée, comme un claquement de portière évitant de justesse les doigts mal placés ! Il donne, il offre, il déverse ses paroles apprises par cœur et avec cœur sur les vagues humaines qui déferlent sans un bruit.
Tous, ils voudraient bien y échapper, se boucher les oreilles, ne pas les entendre ces maux de souffrance qu’il a fait sien.
Cet homme qu’on croyait fatigué, alcoolisé, peu sûr de lui se met à vivre et à faire vibrer la foule. Il ne manque plus que les applaudissements, parfois.

Je suis juste en face et les rails nous séparent. Il ne sait pas que j’ai déjà raté quatre métros pour l’entendre crier son texte comme si de rien n’était, sans improvisation et sans hésitation.
Il est  là tous les jours ou presque. La dernière fois que je l’ai vu et entendu, il était à l’entrée d’une bouche de métro mettant en garde les entrants en les avertissant qu’il n’y avait pas de train…mouvement social oblige !

Comme pour une dernière représentation, il avait revêtu un manteau noir encore plus long que d’habitude, mis des gants blancs et une écharpe rouge. Il m’a fait pensé à quelqu’un, mais à qui ?
Peu importe, il a donné cette fois ses derniers mots sans rien demander, comme un cadeau fait en dehors des dates fixées.

J’imagine : « Recueil pour un homme dans la rue ». découvrir son livre, dans une librairie du 4ème arrondissement. C’est lui sur la couverture. Son manteau noir, son écharpe rouge mais toujours sans nom !